Comment le modulaire - vertueux mais non conventionnel - disrupte le développement durable

Autour du modulaire, le débat fait rage. Le modulaire est-il ou n’est-il pas « DD » (développement durable) ? Pour analyser cette question, il faut d’abord resituer le modulaire dans son contexte global, et savoir que quels critères on parle en termes de développement durable.

De quoi parle-t-on quand on dit « durable » dans le bâtiment

Lorsque l’on parle de développement durable dans le bâtiment, on ne parle en général que du volet environnemental (cf piliers du développement durable). La performance du projet est évaluée selon une grille bien définie, adaptée au bâtiment traditionnel et qui ne laisse que très peu de place à l’innovation.

Cette grille évalue la qualité environnementale de la conception, de l’enveloppe du bâtiment et de ses performances énergétiques. Elle prend en compte également depuis peu le cout carbone du bâtiment et de ses matériaux. Elle se focalise donc sur la fabrication et la consommation d’énergie du bâtiment, et exprime ses performances en équivalent carbone.

Hors, le développement durable comporte trois thèmes : l’environnement, l’économie et le social, et ceci sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment (donc incluant sa démolition et reconstruction).

3 piliers du développement durable

Le bâtiment modulaire, dans l’approche normative présente un bilan carbone comparable à celui des autres bâtiments, bien que de nombreuses études réalisées à l’étranger montrent une réduction drastique des émissions de carbone attachées à ce mode constructif (-30 à -50%) .

Les industriels français n’ont pas encore publié d’études similaires et aussi élaborées, mais quelques acteurs ont réalisé récemment des études complètes que je ne peux malheureusement pas divulguer dans cet article (mais bientôt j’espère).

Bilan global – impact écologie, économique et social

L’impact du bâtiment ne se réduit heureusement pas seulement à sa construction et sa vie énergétique, mais englobe un nombre considérable de problématiques complémentaires ou connexes. Et c’est là que le bâtiment modulaire apporte des réponses inédites à des problématiques tout aussi importantes.

Environnement

D’un point de vue environnemental, de nombreuses données ne sont pas prises en compte dans le calcul règlementaire. En effet, construire dans un endroit spécialisé, une usine, permet des économies incroyables dans de nombreux domaines :

·        L’environnement est contrôlé, les dépenses énergétiques mesurées et maîtrisées, ce qui est beaucoup plus difficile à mettre en place sur un chantier

·        L’environnement est sécurisé, les pertes de matériaux (casse, vol, etc.) sont minimisées et les chutes peuvent être réutilisées ou revalorisées (économie de matériaux et de déchets)

·        Les flux d’approvisionnement sont centralisés, maîtrisés et gérés au juste-à-temps, avec des quantitatifs exacts et des marges de pertes plus faibles On ne transporte sur le chantier que des produits finis et avec un seul intervenant. Cette approche permet de mettre fin à un mythe du modulaire : transporter du module, ce n’est pas transporter du vide mais transporter de la valeur ajoutée

Le modulaire se base également sur un paradigme opposé à celui du chantier traditionnel. Le modulaire privilégie les techniques à sec, ce qui permet non pas de construire mais d’assembler un bâtiment, donc également de la désassembler.

Et qui dit désassembler dit possibilité de réutiliser (bâtiments déplaçables), de reconditionner (location de bâtiment, ou reconditionnement), de réutiliser les composantes (démontage de panneaux et éléments) ou encore de recycler ces dernières (matériaux séparables et clairement identifiables).

La fin de vie du bâtiment modulaire, ce n’est plus une mais une vraie opportunité d’économie circulaire

Economie

Et c’est cette caractéristique du bâtiment qui va permettre de le revaloriser ! Lorsque le bâtiment devient une source de matériaux, alors il devient possible d’attacher une valeur à sa déconstruction via la réutilisation, le reconditionnement et le recyclage.

Imaginez un bilan financier où votre bâtiment a une valeur résiduelle importante, où le bâtiment ne part plus à la poubelle, où lorsque vous démolissez, vous créez de la richesse ! Ce circuit économique se développe en France et dans le monde, il devient inévitable sur une planète aux ressources limitées.

Une deuxième mécanique économique est au cœur du processus modulaire. C’est l’industrialisation. L’industriel réfléchit différemment du constructeur. Il investit dans un outil de production qu’il va rentabiliser avec sa fabrication alors que le traditionnel déplace son outil de fabrication à chaque chantier.

Cette économie d’échelle n’est pas encore sensible sur les projets, car le modulaire en est aujourd’hui là où la voiture en était avec la ford T. Les économies se font sur la masse d’éléments identiques, mais cette industrie est en pleine maturation et nous pouvons déjà voir les premières technologies et outils de fabrication plus flexibles et capables de réaliser des économies de masse sur des éléments diversifiés. L’avenir rendra donc le modulaire de moins en moins cher avec la rentabilisation de l’outil de production

La composante sociale

On n’en parle pas assez. Travailler dans le bâtiment, ce n’est ni valorisé ni valorisant. L’attractivité des métiers du bâtiment est au plus bas, et les salariés partent à la retraite. La crise de la main d’œuvre, nous la vivons aujourd’hui, et nous la visions pour longtemps. Le modulaire permet de faire bouger les lignes vers des métiers plus agréables, plus humains et sécurisés.

Construire le bâtiment en usine, c’est

·        travailler tous les jours au même endroit, alors que travailler sur un chantier, c’est habiter en moyenne à 80km de son lieu de travail

·        travailler au sec, au chaud, souvent avec un lieu de restauration et de vrais locaux pour les employés

·        travailler avec la même entreprise pour des années et entrer dans un plan de carrière qui offre de vraies possibilités d’évolution

·        travailler avec des équipements spécialisés, des outils de levage et de manutention qui préservent la santé, dont travailler mieux et plus longtemps

C’est une problématique qui me tient à cœur, on ne parle pas assez de la pénibilité du travail dans le bâtiment, alors que les conditions de travail en chantier sont dures, et pas assez reconnues.

Fabriquer en usine, c’est également préserver la vie de la ville, près des chantiers. C’est déplacer les nuisances en usine, et réduire l’intervention sur site de manière drastique. Les flux de véhicules sont maîtrisés et même divisés par 5 selon un étude américaine ! C’est donc préserver la vie des citoyens.

Comparaison construction classique et modulaire

Conclusion

Le modulaire souffre d’une image environnementale associée aux cabanes de chantier ou aux construction temporaires, qui ont des performances environnementales en général faibles. Le module a beaucoup évolué dans ses matériaux, dans ses process, dans ses performances, mais a beaucoup de mal à s’intégrer dans une normalisation inadaptée à ses spécificités.

Et c’est extrêmement dommage, car dès que l’on applique une analyse globale, sur l’ensemble des critères du développement durable, le modulaire apporte des réponses étonnantes et pleines de bon sens.

Fabriquer le modulaire, c’est le faire dans de bonnes conditions, qui apportent des avantages sociaux, économiques et environnementaux considérables.

Fabriquer en modulaire, c’est intégrer dans le concept même du bâtiment son potentiel d’adaptabilité, de démontabilité, de réutilisation et de recyclage, c’est se préparer à une nouvelle économie du bâtiment, vraiment circulaire.

Enfin, fabriquer en modulaire, c’est favoriser une évolution stable et durable des métiers du bâtiment, offrir des perspectives et des vrais plans de carrière à tous les ouvriers et revaloriser une industrie qui perd de son attractivité.

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