Pourquoi les prix de construction ne reviendront jamais au niveau pré-covid

Avec les crises successives actuelle, le COVID puis la guerre en Ukraine qui s’éternise, les prix de la construction s’envolent, depuis les matériaux jusqu’au coût de main d’œuvre.
Certains optimistes considèrent que cette hausse est passagère, que les prix reviendront à des niveaux « normaux » avec le temps. Voici pourquoi cette hypothèse nous parait fragile, et surtout comment nous pouvons retrouver une économie saine du bâtiment.

Les prix ont toujours été sous-évalués

Le marché du bâtiment n’est pas un marché comme les autres. 

D’un côté, il s’agit d’un marché mature, avec des majors installées et qui offrent des prix stables et uniformes. Cependant, contrairement à la majorité des autres industries, la qualité de prestation du bâtiment n’est pas dictée par l’usager ou le client, mais par les normes constructives. Le moteur de la prestation est donc non pas qualitatif mais normatif.
D’un autre côté, le prix d’achat du bâtiment est défini par une localisation géographique, et très peu par le produit lui-même. Aux yeux du public, le prix au m² est roi. A cela s’ajoute une contrainte importante : les projets ne peuvent se réaliser sans l’acquisition d’une assiette foncière, qui est devenue un produit d’investissement.

Cette réalité économique verrouille la répartition des coûts à un tel point que la seule variable est la mise en concurrence des entreprises de construction. Dans un marché où l’immobilier est en tension constante, le prix de construction n’est plus le résultat de la qualité d’un projet, mais le reste du prix de vente une fois que les coûts de foncier et de montage ont été prélevés.

compression des prix de construction

Hors le bâtiment est devenu de plus en plus complexe, et ce schéma ne permet pas une évolution correspondante des prix. Cela fait maintenant des années que les constructeurs font des sacrifices pour s’accommoder de ce montage financier.

La responsabilité de la loi MOP

Le fonctionnement du bâtiment public est également à mettre en cause dans notre réflexion. En effet, les projets contraints par la loi dite MOP sont des projets référence qui participent grandement à la définition des prix de construction.

Pour les novices, la loi MOP permet d’encadrer les projets financés par le denier publique, en encadrant les finances et en obligeant à la mise en concurrence des entreprises afin de garantir une compétition juste.

Le système repose en général sur une grille d’évaluation attribuant une note à des critères préétablis et permettant une comparaison justifiée des projets. L’offre remporte le projet lorsqu’elle répond à cette grille et est la moins chère. La surperformance est donc très peu prise en compte, et la qualité des construction est nivelée par l’exigence de base, ce qui pousse les constructeurs à répondre au prix minimum et donc à qualité minimale également.

Enfin, les maîtrises d’ouvrage publiques annoncent traditionnellement des prix de construction bien en-dessous de la réalité économique, sur des temps de projet très longs (on imagine les conséquences avec le COVID). Cette approche, qui vise à nouveau à rentabiliser le denier publique, créée en fait de fausses attentes et un mécontentement généralisé lors de la réception des offres. Difficile dans ce contexte d’imaginer un projet qui soit récompensé pour sa qualité constructive et non par sa performance économique.
La loi de la débrouille

Cet environnement n’est pas favorable à l’innovation ou à l’initiative qualitative dans le bâtiment, mais conduit également à d’autres aberrations.
La première notion qui disparait malheureusement de la carte est celle de cout global. Nous sommes tellement absorbés par le coût de construction que nous oublions qu’il ne représente en réalité qu’une petite partie du coût du bâtiment sur son cycle de vie (25% sur les 50 premières années de vie).

Or le système de concours et de mise en concurrence pousse logiquement les concepteurs et les constructeurs à annoncer souvent un rapport coût / qualité tellement optimal qu’il devient souvent improbable afin d’être concurrentiel, tout le monde jouant avec les mêmes (et inadaptées) règles du jeu.

Ce fonctionnement est tellement ancré dans notre société que nous entendons en permanence parler de bâtiments phares dont le coût a doublé depuis le concours, faisant grand scandale. Pourtant les maitrises d’ouvrages, les concepteurs et les entreprises connaissent bien la réalité du marché, alors pourquoi continue-t-on à jouer à ce jeu de dupes ?



Conséquences

Dans un contexte de crise environnementale, nous construisons toujours plus complexe et vertueux, mais les prix de construction n’ont que très peu évolué comparativement. Nous étions donc dans une bulle inversée, un sous-investissement dont nous ressentons les conséquences aujourd’hui.

A un tel point que les entreprises prennent parfois des chantiers à perte, ou avec des marges tellement faibles que la moindre déconvenue met en danger la structure de la société. Cette approche survivaliste explique en partie pourquoi tant de structures mettent la clé sous la porte durant le chantier.

De même, la crise de la main d’œuvre du bâtiment n’est qu’une conséquence de ce système. Les ouvriers sont sous-payés pour des postes à haute pénibilité (vraie pénibilité dans le bâtiment), à un tel point que certaines entreprises ont recours massivement à une main d’œuvre sous-qualifiée, voire au travail non déclaré.

Bien entendu ce fonctionnement se ressent dans la qualité des prestations, et provoque une différence d’autant plus importante entre la qualité annoncée et la qualité reçue.
Enfin, ce système ne laisse aucune marge aux entreprises, aucune possibilité d’investir dans l’innovation, la R&D, l’amélioration des conditions de travail, la formation d’employés qualifiés, et la sécurisation des emplois par l’offre de salaires attractifs et sécurisant.

Que pourrait-on faire

Dans ce portrait très sombre d’une industrie qui comprend pourtant un certain nombre de fleurons nationaux, certains arrivent heureusement à développer des solutions permettant de limiter les dégâts et de tirer leur épingle du jeu.

Certaines entreprises améliorent leurs process de production avec la mise en place du LEAN, ou investissent (quand elles le peuvent) dans les modes constructifs innovants de type hors-site.

Mais la plupart des entreprises saisissent l’opportunité de la crise actuelle pour monter leurs prix (ils n’ont pas le choix pour survivre), et il serait plus que normal qu’elles en profitent pour retrouver des prix adaptés lorsque le pic de la crise sera passé.

Il va donc nous falloir changer notre mode de fonctionnement. Je propose ici quatre axes de réflexion qui pourraient changer la donne et redonner un dynamique vertueuse à l’industrie :

• Intégrer la notion de coût global : prendre en compte les économies substantielles réalisées lorsque l’on construit plus qualitatif sur la vie du bâtiment. Pourquoi pas investir 5% du cout du bâtiment de plus à la construction (+20% en cout construction) si on économise 20% sur la vie du bâtiment ?
• Privilégier la performance à la norme : avec la crise environnementale et la hausse des prix de l’énergie, la qualité environnementale devient plus importante que le normatif, car elle offre une opportunité à l’acquéreur de réduire son cout de vie sur le long terme
• Récompenser les bâtiments plus qualitatifs : introduire une vraie prise en compte des innovations et des qualités hors programme que peut apporter un projet de bâtiment et prévoir une enveloppe supplémentaire pour les projets publics (environnement, flexibilité, durabilité, recyclabilité, etc)
• Intégrer la valeur résiduelle du bâtiment : alors que nous considérons le bâtiment en fin de vie comme un déchet sans valeur, les notions de hors-site, de biosourcé et de flexibilité devraient se traduire en une valeur résiduelle du bâtiment (matériaux récupérables, batiment convertible, etc) que l’on pourrait intégrer dans le schéma économique initial.
La proposition est en réalité assez simple, et tient en une seule ligne : Investissons dans la qualité du bâtiment pour réduire son cout d’exploitation et lui donner une valeur de revente.


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